Quel sens à ma Vie ? - partage de Yannick Lapierre Les temps d’humeur maussade, un peu nuageux, ou au contraire de grandes inquiétudes ont souvent été propices chez moi au jaillissement de cette question. Et aujourd'hui encore, cette crise la ravive. Ces temps difficiles, ne les rejetons pas. Ils nous enseignent. La souffrance nous renvoie à l’essentiel. A notre éphémère passage sur terre et donc à ce qu’il y a de plus important pour nous à vivre. Face à la souffrance, face au sentiment de l'éphémère et de la fragilité, comment tenir encore debout ? Sœur Emmanuelle témoigne : Où trouver la source d’amour ? Ou trouver la force d’aimer ? Chacun d’entre nous a une histoire plus ou moins triste, plus ou moins dramatique. Comment certains trouvent-ils la source d’amour qui reste cachée à d’autres ? On trouve la source d’amour en se faisant aspirer par la souffrance. Je me souviens de la première fois que je suis entrée dans le bidonville. Je n’avais jamais rien vu de pareil. Dans les ruelles, on retrouvait entassées les ordures des beaux quartiers du Caire. Les chiffonniers les ramenaient sur leurs petites voitures puis les jetaient dans les ruelles au milieu des cochons pour les trier. La saleté, les odeurs étaient infectes. Les enfants cherchaient leur nourriture dans les immondices. Je me rappelle m’être alors sentie aspirée. Aspirée c’est le terme. Il n’y en a pas d’autre. J’avais 62 ans. Je pouvais prendre ma retraite confortablement en France. Cette aspiration de la souffrance a changé le cours de mon destin. Elle a comblé ma vie. Sœur Emmanuelle, Mon testament spirituel, Presses de la Renaissance C’est en lisant un jour un livre de Sœur Emmanuelle - Vivre, à quoi ça sert ? - que cette simple réponse m'est venue : Vivre pour Aimer ! Car comment rester dans la “Joie imprenable“ lorsque la souffrance nous tire vers le bas ? Comment ne pas passer à la “détresse empathique“? Comment rester dans une compassion qui guérit, qui donne l’énergie de la joie, qui prend soin de tous, de l’aidant comme de l’aidé ? Comment ? En étant dans l’Amour. Vivre, c’est espérer. Vivre, c’est aimer. Aimer pour vivre. Sans amour, pourrions-nous vivre ? Pourrions-nous espérer ? L’autre face, le désespoir, me dit la souffrance. Me dit le manque. Le manque d’espoir ou d’espérance. Je suis désespéré. Je suis perdu. Je n’ai plus le goût à vivre. Tout cela ne sonne-t-il pas du même ton ? Cheminer le cœur ouvert Ce ton a le goût amer d’un cœur serré. D’un état d’âme nostalgique. Nostalgie d’un ailleurs, d’un autrement. J’aimerais aller bien, j’aimerais que les choses soient autrement. Que cette personne revienne. Que ma vie soit toute autre. Il y a une insatisfaction de l’instant présent, ou du moins tel que je le vis. Il y a aussi l’espérance, peut-être plus dissimulée, d’un autre état, d’une situation différente, meilleure. Puis-je changer la situation ?
Car il est un “art de souffrir“. Un de mes maîtres spirituels, Thich Nhat Hanh, me l’a enseigné. La matière, la peinture, c’est la Pleine Conscience ou l’Esprit Saint. C’est une douce énergie qui vient envelopper, prendre soin de ce cœur serré. De ma souffrance. Le pinceau, c’est la main de ma maman. Peut-être celle qui m’a donné la vie. Peut-être pas. Peut-être plutôt celle d’une mère tendre, douce, attentionnée, qui caresse le front de son nouveau né. C’est la tendresse incarnée. C’est Marie. C'est Jésus aussi qui dit à St Jean “Je te fiancerai à moi dans la tendresse“. Alors, oui, je me prends tendrement dans les bras. Je ferme les yeux et doucement je respire avec moi enfant. Je respire comme si je tenais un petit bébé dans les bras ou comme si moi-même j’étais un petit bébé. Comme le dit le psalmiste (psaume 130) : "Mon âme est en moi comme un enfant, comme un tout petit enfant contre sa mère" Ne rien faire d'autre que d'embrasser mon cœur serré, mon être souffrant. Et finalement, me déposer là, comme un tout petit contre sa mère, impuissant et confiant. Et me laisser faire. Laisser le Souffle m'embrasser, laisser le Souffle prendre soin de moi. Rien d’autre. En laissant les pensées poursuivre leur chemin. En calmant ainsi mon esprit, en sentant le Souffle en moi. Laissant les choses être telles qu’elles sont. Ecoutant la Vie en moi et autour de moi. Laissant la Vie respirer en moi. Cette Vie ouvre une porte en moi. Un filet de lumière. Cette attention consciente me relie. Elle est Esprit Saint, Souffle Saint, Energie de Vie. Je ne suis plus seul, coupé à essayer de m’en sortir par moi-même. A m’apitoyer sur moi, sur la vie, sur ma vie. C’est l’Instant Présent, vierge, qui nous recrée, nous enfante. Marie a enfanté Jésus. Marie a enfanté St Jean aux pieds de la croix, lorsque Jésus lui a présenté comme son fils. Marie a enfanté, aussi, les premiers disciples au cénacle à Jérusalem alors qu’elle priait avec eux dans l’attente de la venue de l’Esprit Saint à la Pentecôte. Oui, l’Esprit Saint nous renouvelle, lorsque nous laissons ce temps virginal œuvrer en nous. Lorsque nous laissons notre volonté ouverte… Une volonté ouverte Car c'est la grande injonction de notre temps : “s’en sortir par soi-même“, devenir “autonome“. Même dans la méditation nous retrouvons ce piège. Une volonté “fermée“ : l’objectif d’atteindre un certain mieux-être, un certain état… Notre société moderne entretient chez bons nombres cette dérive, qu’un homme ou qu’une femme devrait s’en sortir par soi-même, par sa propre volonté. Ce qui nourrit l'illusion de tout contrôler. Cela donne en effet de l’assurance lorsque je peux par l’argent que j’ai gagné (ou reçu ou volé) me payer une voiture qui me transporte où je veux au son d’une musique impeccable dans mon habitacle. Je ne sens plus les intempéries de la pluie, du froid ou du chaud. Tout est climatisé, aseptisé, sous contrôle. Tout semble à portée de main, tout semble sous contrôle. L’excès de consommation nous donne un semblant d’apaisement, un semblant de contrôle. Mais ce semblant est trompeur. Il nous endort et nous fait repartir comme avant. L’avidité devient de nouveau mauvaise conseillère. Nous pouvons même en perdre de vue nos intentions - louables parfois - au profit des seuls moyens, qui deviennent alors une fin vide de sens : course à l’argent, au pouvoir, à une sécurisation à outrance etc… Comme le soulignait Gandhi : “Votre grande erreur est de croire qu’il n’y a aucun rapport entre la fin et les moyens. C’est comme si vous prétendiez que d’une mauvaise herbe, il peut sortir une rose“. Cet épisode du Covid a créé des tremblements dans le “château de cartes“. Et quand tout vacille, qu’en est-il ? Que reste-t-il ? Il est temps de réaliser que nous ne pourrons jamais tout contrôler. Qu'une voie du milieu, une voie équilibrée et moins consumériste est plus saine pour nous, les autres et la nature. Une voie où la solidarité et l’entraide sont plus fortes que l’illusion de “s’en sortir par soi même“, qui ouvre la porte à toutes les dérives du monde “moderne“. Ou préférons nous ne rien entendre et, poussés par nos peurs ou nos avidités, essaierons-nous de repartir comme avant dans une course effrénée, un toujours plus ? Disons-le clairement : non, nous ne pouvons pas être par nous-même, vivre par nous-même, coupé des autres. Nous ne vivons que parce que nous sommes en lien. Nous “inter-sommes“. L’eau dans mon corps n’existe que parce que la rivière coule des montagnes. Tout comme mes os n’existent que par la présence des minéraux dans la terre que j’assimile en mangeant par exemple une carotte ou une pomme. Même chose pour la chaleur en moi qui vient du soleil. Une journée sans soleil sur la terre et nous disparaissons. Même chose pour l’air et son oxygène. Même chose avec les autres humains : sans mon père et ma mère, je ne serais pas là. Sans mon boulanger, non plus. Sans mes collègues de travail, mes élèves, mes clients, les membres de ma communauté ou ma famille… non plus. Nous n’existons qu’en lien, dans ce "recevoir et donner" qui le mouvement même de la Vie. “Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour“, chaque journée est un cadeau à recevoir non pas comme un dû, mais bien comme un don. Gratitude donc. Je suis très touché dans la prière du “Notre père…“ enseigné par Jésus par : “que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel“. Oui, la grâce n’est pas "sous contrôle", impossible de "mettre la main dessus". Une seule chose possible : garder "la main ouverte" pour l'accueillir, garder la volonté ouverte pour la laisser œuvrer à travers nous. Œuvrer en étant libre du résultat de nos actes (le secret de la liberté humaine !) – œuvrer avec un esprit ouvert, un cœur ouvert et une volonté ouverte… Nous allons bientôt célébrer la fête de la Pentecôte… cette ouverture à plus vaste que soi, à ce Souffle Saint qui vient nous habiter… ![]()
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